LA FRANCE

Publié le par MAX HEADROOM

Serge BOZON - France 2007 1h45, avec Sylvie Testud, Pascal Greggory, Guillaume Verdier, François Negret, Jean-Christophe Bouvet, Guillaume Depardieu... Scénario d’Axelle Ropert. Prix Jean Vigo 2007. Musique de Mehdi Zannad (Fugu) et Benjamin Esdraffo.




Il faut préciser d’entrée de jeu que dans La France, on chante beaucoup, mais assez peu des airs cocardiers. Bozon préfère les fragiles ballades aux grands hymnes patriotes de nouveau dans le vent. Une forme sur mesure concernant un film lui-même baladin, en constant déplacement, pris en flagrant délit de déroute. La France de La France est un espace fantôme, qui vient de loin : 1917. Pauvre France enlisée, en dehors des travées de boue, on n’y croise guère âme qui vive. Des fois, aux détours d’un sous-bois, une patrouille. Un peu perdue, forcément perdue. Laquelle, à son tour, fait la rencontre d’un gosse, gavroche des champs, poil-de-carotte : un Tintin, un Petit Chose asexué. Et pour cause, le Petit Chose est aussi une grande fille, Camille, suffisamment héroïque pour décider de se transformer en un être indéfini (Sylvie Testud, cette Adèle Blanc-Sec gender), en quête d’un mari soldat porté disparu au front. Une Belle des champs devient un homme parmi les hommes, un poilu par amour pour son époux…

Retrouver quelqu’un dans la boue, autant chercher une paille dans une meule de foin. Quel film faire avec ça ? Un western désarmé, peut-être. Bozon s’improvise champêtre, avec l’aide de sa scénariste Axelle Ropert. Sa sœur, Céline Bozon, postée à l’image, décide des températures : saison froide, saison morte, bleu des capotes, blancs des terres, vert sale des clairières fatiguées : des tons dégradés. Chaque séquence les enfonce un peu plus vers le cœur du problème, vers la part opaque de cette histoire : elle a passé tant d’heures dans les sous-bois, Camille. Elle a passé le pont, et ce sont des fantômes déserteurs qui sont venus à sa rencontre. Ils ont déserté la guerre ? C’est possible. Mais ces antisoldats (tous d’une pâleur spectrale, frêles, à peine fatigués) en échappée belle sont les déjà-morts de l’histoire, en stand-by entre deux mondes.

À quoi ces fantassins et leur lieutenant (impeccable Pascal Greggory, de force intranquille) occupent leur marche vers le destin ? À chanter des chansons pop. Instruments d’époques (du bois, du vent) mais mélodies Kinks, messieurs les Anglais, chantez les premiers. Ceux qui hurleront au n’importe quoi anachronique feraient mieux de se demander si les ballades que l’on nous chantait dans les westerns de Ford, de Hawks, de Walsh, tenaient plus du rock fifties naissant, ou d’un folk historique, que du chant fin xixe. Une fois cette question résolue, plus rien n’oblige Bozon à s’en tenir à la Madelon et autres Sambre et Meuse de rigueur molle. Libéré, des corps comme du temps, La France peut enfin jouer aux guerriers sans guerre, aux Indiens de France et de Navarre, cœur d’une tragédie nationale, ou aux conteurs modestes d’un cœur de fille en tragédie : la France est introuvable et désincarnée, et ça nous sauve. La France est le moins français des films d’ici, et ça l’honore. Il flotte, sans appartenance aucune, dans le fond du temps. Assez peu un film d’histoire, encore moins un film de géographie ou alors mentale, dérangée et bleue.

Publié dans cinetampes

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