De l'autre côté

Publié le par MAX HEADROOM

Écrit et réalisé par Fatih HAKIN - Allemagne/Turquie 2007 2h02  avec Baki Davrak, Nursel Köse, Hanna Schygulla, Tungel Kurtiz, Nurgül Yesilçay, Patrycia Ziolkowska... Prix du scénario, Festival de Cannes 2007.

 


C’est un film formidable et assez inracontable, tant le mouvement des personnages qui se croisent, s’aiment, se cherchent, se perdent, se frôlent, se loupent… nous emporte, nous fait tanguer entre deux cultures, l’allemande et la turque, croisant les destins, croisant les regards sans pourtant que jamais l’on ne perde une seconde le fil d’une histoire tout à la fois complexe et d’une limpidité de cristal.

Embarqués dans la vision autant politique qu’intime de vies indissociables de la destinée des pays qui les ont façonnées, on assiste à une sorte de ballet envoûtant, orchestré au quart de poil, avec une fluidité sans pareille. Rien n’est gratuit ici, rien n’est de trop, pas une seconde d’ennui ou d’indifférence et les acteurs de ce mélodrame moderne sont tous plus justes, plus pertinents, plus attachants les uns que les autres, avec une mention particulière pour la grande Hanna Schygulla, éternelle héroïne de Fassbinder, d’une émouvante majesté. Le plus étonnant est la rapidité avec laquelle les personnages captent notre intérêt. Il fallait bien, pour qu’on adhère à ce film dense, toute la virtuosité et la cohérence de Fatih Akin, qualités déjà perceptibles dans ses précédents films, Head On et Crossing the bridge, mais qui trouvent ici une sorte d’épanouissement éclatant.

Un jeune prof allemand, Nejat, fils d’un vieux grigou égoïste et roublard, ne voit pas d’un œil léger son père, qui vit à Hambourg, se mettre en ménage avec une ancienne prostituée originaire de Turquie comme lui. Pourtant la belle personnalité de Yeter, qui a visiblement trouvé dans cette relation le moyen de se tirer d’une situation plus que difficile et envoie presque tout son argent à sa fille Ayten restée en Turquie, le touche, l’émeut. Peut-être aussi que cet amoureux de culture (c’est elle qui changera la face du monde) est sensible à l’acharnement de cette femme qui ferait n’importe quoi pour payer l’université à sa fille. La mort accidentelle de Yeter va le bouleverser et, brouillé avec son père, il partira vers Istanbul dans l’espoir de retrouver la trace d’Ayten qui a un peu plus de vingt ans et ignore tout du destin de sa mère… sans se douter que la jeune fille a fait le chemin inverse, fuyant la Turquie pour échapper à la police du régime qui traque les activistes politiques dont elle fait partie.
Ayten rencontrera Lotte, étudiante allemande, qui l’hébergera malgré les réticences de sa mère, séduite par le charme et l’engagement de la jeune Turque. Ayten, reconduite à la frontière, arrêtée dès son arrivée en Turquie, incarcérée… Lotte partira sur un coup de tête, abandonnant tout pour tenter de la faire libérer. Plus tard encore, c’est sa mère qui suivra le même chemin, rencontrant par hasard Nejat…
Jamais ces personnages ne se trouveront tous ensemble, extraordinairement impliqués les uns dans la vie des autres sans savoir, le plus souvent, jusqu’à quel point chacun compte pour l’autre. Pourtant l’amour circule, les liens sont forts, même invisibles, même tus. « Ce n’est pas seulement une impressionnante galerie de portraits humains confrontés à la mort dont Fatih Akin restitue la fresque palpitante, c’est aussi le dialogue douloureux et malade entre Turquie et Allemagne, deux pays liés par les larmes de l’exil et le sang des cercueils, qu’il restitue » écrivait Olivier Séguret au moment de la présentation du film à Cannes où il a remporté le prix du Meilleur scénario et le prix du Jury œcuménique. Confrontés à la mort, confrontés à l’amour, confrontés à tout ce qui fait la vie, à ce qui fait notre monde présent, ils sont tous, vulnérables, sensibles et superbes dans ce film qui mêle l’universel au particulier et sollicite l’intelligence autant que l’émotion, dans un dosage subtil qui nous place toujours à la bonne distance : « J’ai tenté de réaliser ce film en prenant du recul… Mais parfois ce n’est pas l’intellect qui décide. J’imagine qu’il s’agit d’une part de moi beaucoup plus irrationnelle, qui vient du cœur » dit Fatih Akin.

Publié dans cinetampes

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